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Le 2×2

06.03.2014 – Première rencontre avec Julie Susset par l’intermédiaire d’un mail : “Je suis peintre professionnelle, autodidacte passionnée et enthousiasmée par le geste et la couleur”. En un clic sur son site et une visite à son atelier, on se rend compte que cette simple phrase résume l’aura de cette artiste. En février, Julie Susset nous emmène en voyage. Un an après, Le Petit Joseph est heureux de vous présenter son 2X2.

Entretien :

Lorsque l’on regarde ton CV artistique, on se rend compte que ton entrée dans la vie de peintre professionnel est relativement récente. Quel a été le déclic ? 

L’envie a toujours été là… Je pense que c’est plutôt une accumulation d’évènements, d’expériences, de rencontres marquantes et parcours singuliers… l’impression d’une sorte de manque aussi, qui a pris de l’ampleur. Et surtout une prise de conscience que je passerai à côté de quelque chose si je ne réagissais pas maintenant ! Cette jolie idée de vivre ses rêves et non pas seulement rêver sa vie a fait son bout de chemin, et s’est un jour imposée à moi ! Enfin écouter cette petite voix que je n’arrivais pas à faire taire. Juste oser choisir le temps. Ou plutôt se donner les moyens de prendre ce temps et l’énergie nécessaires pour peindre, créer, vivre pleinement cette passion. Et le faire!

Dernièrement, tu as participé au Salon Réalités Nouvelles. Te considères-tu comme un peintre « inobjectif » selon la définition de Robert Delaunay ? *

A vrai dire, je ne sais pas vraiment… je ne suis pas certaine d’interpréter correctement sa définition ! Tel que je le comprends, si une peinture est abstraite, ou plutôt donc inobjective selon lui, c’est parce que son objet c’est elle-même. Rechercher l’harmonie picturale et la lumière, par la couleur pure, sans plus représenter d’objets. Je ne peins pas la reproduction de ce que je vois, mais l’émotion que cela me procure. Le tableau vit par lui même. Alors oui, dans ce sens, je me rapproche de cette définition. Mais il y a aussi une transposition du monde sensible dans mon travail, même si toute référence directe aux éléments qui le constituent disparaît au cours de l’élaboration de la toile pour ne pas s’imposer au regard. Osciller entre abstraction et figuration. Rester dans l’incertitude, faire perdre les repères, jouer avec cet entre-deux m’intéresse aussi. En fait, je me sens plus proche des expressionnistes abstraits, la forme, le geste et l’action sur la toile autant que la couleur ! Et je dois avouer que j’ai du mal avec l’étiquette du style (et toute étiquette d’ailleurs)… D’autant que je suis au tout début de la recherche, de mon écriture, encore fragile et mouvante… Qu’elle ne soit jamais certaine et figée justement ! 

Tu navigues de salons historiques à des lieux chargés d’histoires/d’Histoire comme Le Ventre de la Baleine (lieu où est situé ton atelier). Est-ce important pour toi d’être quelque part proche de tes « pairs », d’une certaine effervescence artistique ? *

Oui, c’est même fondamental pour moi ! Je pense qu’on apprend surtout des autres, de leurs histoires, leurs parcours, leurs attitudes. Observer et interagir avec l’autre est une source inépuisable pour moi d’apprentissage, d’inspirations. Et se mettre en danger, se confronter à ses « pairs », échanger entre artistes c’est stimulant, et je trouve important !

Michel Savattier, responsable de la section abstraite du Salon d’Automne de Paris, qualifie ton travail de cette manière : « Chaque tableau est un poème sans les mots ». Si tu devais emprunter les mots d’un poète, lequel représenterait le plus ton oeuvre ? *

Beaucoup d’artistes, pas seulement poètes, m’inspirent à travers leurs mots, leurs réflexions, et me nourrissent. Mais au delà des mots, c’est surtout la réflexion qu’ils provoquent qui me transporte et fait voyager mon esprit. Le poète possède l’art de combiner les mots, les sonorités, les rythmes pour évoquer des images, suggérer des sensations, des émotions. En ce sens on pourrait alors faire le parallèle de la peinture avec tous les poètes ! J’ai toujours du mal avec les questions à réponses uniques… Alors, je dirai Apollinaire, qui part du principe que l’acte de créer doit venir de l’imagination, de l’intuition, car il doit se rapprocher le plus de la vie, de la nature. Et je partage avec lui l’idée que l’art doit alors s’affranchir de la réflexion pour pouvoir être poétique, avoir pour fondement la sincérité de l’émotion et la spontanéité de l’expression, en suivant le mouvement du temps. Je pense aussi à Jack Kerouac qui représente l’état d’esprit dans lequel je suis pour nourrir mon travail, avec ces mots  » There was nowhere to go but everywhere, so just keep on rolling under the stars « . Et je terminerai par Camus, et cette phrase simple qui me réveille quand je doute  » Rien au monde ne vaut qu’on se détourne de ce qu’on aime « .

Lorsqu’on s’intéresse à ton travail, le mot « jardin » revient constamment. Pourquoi ? *

Ce mot est souvent revenu en effet, c’était surtout le thème de ma première série. C’est naturellement venu depuis mon ancien appartement-atelier parisien, j’étais sans doute en manque de nature, de verdure, du jardin que je n’aurai peut être pas ! J’aime ce mot pour ce qu’il représente. Ses jeux de lumières. Ses verts. Ses formes et couleurs sans arrêts changeantes. Jardins abandonnés, imaginaires, sauvages, publics, le jardin de l’esprit… Un lieu chargé de sens où l’on se rassemble, on plante, on observe, on rêve. Mais plus que le jardin, on peut élargir mon thème d’inspiration principal à la nature, dont je cherche à retrouver l’essence, l’empreinte, le ressenti dans un univers citadin qui me permet de l’imaginer et l’inventer, la faire entrer dans nos regards, par la couleur. En fait, c’est surtout l’extérieur de manière générale qui est le point de départ de ma recherche picturale, des linges suspendus aux arbres ou aux fenêtres, aux couches de peintures sur des murs plein d’histoires, en passant par les fleurs et poussières au vent…

En février, tu proposes un 2X2 pour Le Petit Joseph. Peux-tu le décrire en quelques lignes ? *

Ce 2×2 se fait au travers d’une fenêtre, qui parle d’ouverture. Un imaginaire de possibles, par la ligne, le geste et le rythme. Les façades me fascinent. Les murs, les fenêtres, les portes… nous donnent à voir en matière, en différences, en couleurs. Et pourtant, on peut imaginer beaucoup de choses et autres chemins invisibles, cachés, derrière ces apparentes réalités. Et c’est ce qui me plait. Voir au delà du visible et ne surtout pas s’arrêter à des certitudes maladroites. Une invitation au laisser-aller, à la contemplation, à l’ailleurs. A l’émotion (ou pas!) et l’expression, plutôt qu’à la compréhension, l’analyse, et la justification de toute représentation. On est libre de voir ce que l’on souhaite voir, avec ses propres perceptions et sensations. Un petit rêve d’harmonie, d’apaisement, une enclave au milieu de l’agitation de la vie moderne. Voila, c’est ça : Un mur. Une fenêtre. Une liberté.


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